Depuis dimanche soir, montage à l’appui des photos de Valls, Sarkozy, Le Pen côte à côte, on nous vend le tripartisme. La vie politique française se résumerait donc à deux libéraux (un de « gauche », un de droite) et une « facho ».
Incontestablement la droite a gagné cette élection en étant unie. Incontestablement le FN a consolidé son implantation. Mais l’image d’une gauche rassemblée derrière Manuel Valls est évidemment une arnaque. Il n’y a pas un bloc « de gauche » derrière le PS.
L’arnaque aux étiquettes
Cette manipulation n’a rien de spontanée. Elle a même été préparée de longue date. Face à un nouveau mode de scrutin, le Ministère de l’intérieur avait la latitude de classer de différentes manières un binôme lorsqu’il était composé de candidats de deux partis différents. En choisissant arbitrairement de les étiqueter « Divers Gauche », quels qu’ils soient, voire même « Union de la Gauche » dans certains cas, il a pris une décision politique. D’autant que le FdG et EELV s’étaient adressés officiellement à lui pour demander qu’il en soit autrement pour nos binômes communs. Refus.
L’objectif poursuivi ? Il s’agissait de réduire dimanche soir l’échec du PS et d’effacer du tableau toute trace d’alternative à gauche. Si on en croit le Ministère, le FdG atteindrait ainsi 6,09 % et EELV 2% contre un PS « et ses alliés » (dixit) à 21,85 % (nul n’a noté par ailleurs que les binômes exclusivement socialistes n’atteignent que 13,70 % des suffrages exprimés, la catégorie Union de la Gauche étant additionné sans discussion au résultat du PS). Les DVG, souvent enrôlés derechef sous le drapeau de la majorité gouvernementale, sont eux estimés à 6,81 %.
Les vrais résultats du Front de Gauche
La réalité est toute autre puisqu’au moins 30 % des candidats FdG, ceux partis en commun avec EELV, sont camouflés dans « DVG ». En réalité, 9,4% des électeurs ont voté pour une liste soutenue par le FdG (11,9% si on les rapporte aux seuls cantons dans lesquels ils étaient présents, comme le montre l’étude électorale de Roger Martelli à lire ici ). Soit le meilleur score du FdG en dehors de la Présidentielle, meilleur que les 8,9 % obtenus aux cantonales de 2011 dans la moitié des cantons français, et beaucoup mieux que les 6,33 % des Européennes. Ajoutons, pour être précis, qu’une partie de nos candidats ont même été classés en « Union de La Gauche » dont le résultat, on l’a vu, est rentré directement dans l’escarcelle socialiste ! La conséquence de tout cela ? Non seulement cela cache notre rebond mais cela augmente d’autant le score du PS et de ses alliés.
En réalité, le PS a connu une nouvelle sanction alors que le FdG, lui, progresse sensiblement.
Première raison : à l’inverse des Municipales, il s’est engagé sur une stratégie nationale d’autonomie claire vis à vis du PS. Il a du coup évité, en prime, les divisions qui ont pollué les élections européennes. L’électorat ne vient pas au secours d’un canard boiteux. Cette fois, il a jugé du coup utile de se déplacer davantage d’autant que les choix étaient clairs (la dispersion de listes étant très limitée, les électeurs ont souvent eu le choix à gauche entre deux listes : celle de la majorité gouvernementale face à celle de l’opposition de gauche). Plusieurs candidatures ont profité de cette « prime à la clarté » comme celle de Claude Chaidron et Dolorès Esteban, pourtant seulement soutenue par le PG et Ensemble, qui se retrouve face au FN au 2ème tour à Amiens 1 après avoir éliminé celle défendue par le PS.
Cela ne règle pas toutes les questions, c’est notamment insuffisant pour parler d’alternative, mais dans un contexte général de ressac et de victoire de la droite, il s’agit d’un point d’appui sur lequel on peut espérer rebâtir. Après l’échec des Européennes c’est une satisfaction dont nul ne se plaindra.
Le rassemblement avec EELV cela marche
D’autant, et c’est le deuxième élément de satisfaction, que le rassemblement avec EELV, et parfois Nouvelle Donne, dans 448 circonscriptions a marqué des points. Il enregistre une moyenne de 13,6 % . Un résultat d’autant plus intéressant qu’obtenu sans aucune visibilité ni identifiant national. Cela a évidemment affaibli son impact dans une élection où les critères nationaux ont pris le pas sur tout autre. Pour preuve, ce résultat augmente dès lors qu’il y a eu une cohérence de liste sur tout un département – 17,67 % en Ariège, 16,72 % en Lozère, 16 % en Haute-Vienne par exemple – et plus encore sur une ville : 19,25 % à Lille, 19,6 % à Poitiers, 15,83 % à Toulouse, 29 % à Grenoble. Cela confirme l’efficacité encore plus grande de cette association politique dans les centres urbains.
La prime aux démarches citoyennes et aux dynamiques militantes
Les rassemblements élargis prouvent donc leur utilité électorale. Mais ils entrainent d’autant plus d’adhésion qu’ils correspondent à de nouvelles pratiques militantes et à une volonté de déclencher et entretenir une véritable implication citoyenne dépassant les seuls cadres partisans. Quelles qu’en soient, à ce stade, les modalités opérantes. Cela fonctionne par exemple quand le FdG s’est engagé dans un tel processus depuis longtemps. A l’exemple de la Creuse (point de départ de « Limousin Terre de Gauche ») avec une moyenne de 14,94 % dont une pointe à 28,8 %, ou des Alpes-de-Haute-Provence, où dans quatre circonscriptions les résultats culminent à 22, 28, 25 et 26 % ! On l’a vu plus haut, cela a de nouveau fonctionné parfaitement à Grenoble, où l’articulation entre unité des partis et démarche citoyenne, exemplaire aux Municipales, permet d’être au 2ème tour dans 3 des 4 cantons de la ville. Dans la Drôme, le même type de démarche a permis, par une alliance du FdG dans son ensemble et d’EELV, de qualifier ses binômes au 2ème tour à Dieulefit et dans le pays Diois. C’est un processus comparable qui explique les succès de Poitiers ou Lille, où pourtant le rassemblement FdG / EELV n’était pas écrit à l’avance ou encore à Clichy-la-Garenne avec plus de 15% des voix. Même bonus évident là où des démarches de type « majorité citoyenne » se sont appuyées sur des assemblées citoyennes souveraines : à Toulouse, Alternative Citoyenne obtient 15,87 de moyenne (malgré des listes concurrentes du PCF), dans le Jura les résultats s’étalent entre 10 et plus de 20 % dans plusieurs circonscriptions pourtant difficiles pour la gauche ou encore l’Aveyron avec 15,22 % sur 19 cantons dont celui de Rodez – Onet qui voit notre CG sortant, M. Jean-Louis Roussel, au 2ème tour avec 23,86 %.
Il se sera donc passé quelque chose finalement à ces élections du côté de l’autre gauche. On espérait quelques bonnes surprises, les listes que nous soutenions ont fait mieux, démontrant une disponibilité de l’électorat dès lors qu’elles se révèlent crédibles et utiles. Le résultat est meilleur en cas de rassemblement plus large et encore plus satisfaisant lorsque ces candidatures s’appuient sur une dynamique citoyenne et militante. C’est cette démarche, complémentaire, qu’il faudra entretenir à l’avenir, ce qui évidemment doit interpeller non seulement les partis du FdG mais aussi nos potentiels partenaires dont au premier plan EELV mais aussi Nouvelle Donne ou le NPA. Il faudra faire preuve d’audace si, pour déjouer un contexte global pour le moment mauvais, on veut ramener une partie des abstentionnistes dans l’action politique. Car, pour finir, si malgré tous les pronostics, la participation a été meilleure que prévue (en hausse de 5 points par rapport aux Européennes et Cantonales 2011), elle reste le phénomène politique premier notamment dans les départements et quartiers populaires (un tiers de participation dans le 93). Or rien ne sera possible sans le retour, là aussi, du peuple aux affaires.
Le deuxième tour
Les élections ne sont bien sûr pas terminées. Leur physionomie prendra tout son sens dimanche prochain. D’ici là, il nous faut se mobiliser autour de nos candidats pour faire élire le maximum de conseillers départementaux de résistance. Ils seront utiles. Comme sera évidemment précieux de conserver les départements gérés par le FdG tel le 94, dont les habitants auront plus que jamais besoin d’un bouclier social contre la politique d’austérité du gouvernement.
Pour le reste, le PG a décidé de ne pas donner de consignes de vote. La droite est menaçante, mais la seule responsabilité est du côté de l’Elysée et de Matignon. Plus que jamais, pour l’avenir, la situation réclame une grande lisibilité. Dans ce cas, le traditionnel désistement républicain n’a guère de sens quand des candidats « de gauche » soutiennent un gouvernement qui fait une politique de droite. Ce sera donc aux candidats du PS de convaincre nos électeurs de l’utilité de voter pour eux contre la droite. Il n’est pas sûr que laisser à Manuel Valls le soin de mener la campagne leur facilitera le travail. Toutefois, en adversaire le plus résolu du FN et des valeurs d’extrême-droite, nous appelons à faire barrage contre ce parti. Un appel qui ne concerne pas les duels avec l’UMP qui banalise le FN à force de tirer un trait d’égalité entre lui et le FdG et de recycler une partie de ses valeurs.
Au-delà de cette prise de position nationale, nous laissons aussi le soin aux véritables collectifs (assemblées citoyennes ou autres) qui se sont constitués autour des candidatures d’affiner leur position pour le 2ème tour. Vouloir l’implication citoyenne c’est aussi laisser aux citoyens et/ou militants qui se sont impliqués dans la campagne, leur souveraineté collective sur ce type décision.
Eric Coquerel
SN à la coordination politique